edito

Choisir la vie

L’inscription dans la constitution du droit à l’interruption volontaire de grossesse vient de l’élever au rang de liberté fondamentale. La quasi-unanimité politique et médiatique qui l’accueillit disqualifia toute réflexion critique jugée réactionnaire dans l’intention même. Pourtant, le fait comme les termes de cette constitutionnalisation recèlent des aspects extrêmement préoccupants. Préci-sons que l’on ne trouvera pas ici une condamnation de l’IVG : trop de victimes des faiseuses d’ange plaidaient en faveur de sa dépénalisation ; la simple humanité commandait de remédier à un mal-heureux état de fait par une possibilité moins immédiatement dramatique. Il est en revanche haute-ment critiquable de faire d’une possibilité un droit, et d’un droit une liberté fondamentale, glissement d’autant plus inquiétant qu’il est présenté comme un progrès que rien ne doit entraver.

Personne n’a recours de gaieté de cœur à l’IVG, et les débats sur l’éveil de l’embryon n’ont aucun sens devant la promesse d’une nouvelle vie : la trahir est de toute façon une souffrance inef-façable. Cependant, instituer l’IVG en tant que droit dispose à y recourir comme moyen de contra-ception, en rupture avec la loi Veil qui répondait à une revendication claire : « Avortement d’accord, contraception d’abord. » Elle n’instituait pas un droit mais dépénalisait la possibilité de l’avortement en l’entourant de précautions sociales, médicales et psychologiques aujourd’hui compromises par le dépérissement organisé des services publics, notamment de santé. On voit donc, puisque la possibilité est réduite dans sa réalité pratique, ce que sa transformation en un droit a d’un choix idéologique. Il en va de même de son élévation en « liberté fondamentale de l’individu » qui dès lors n’est plus que celle de la femme-individu, sans considération ni de l’homme ni de l’enfant ni de la collectivité humaine, tous les trois absents du discours en contradiction absurde avec l’objet même de la Constitution qui est de définir les rapports entre les institutions républicaines d’un peuple en son entier et de lui en entier avec celles-ci. Il y a là un danger pour l’ensemble de la société et pour la femme elle-même qui porterait seule la décision et la responsabilité de la procréation. Au nom de quoi un gouvernement éphémère s’arroge-t-il le pouvoir de bouleverser les lois naturelles du renouvellement de l’humanité au prétexte que la « liberté » de l’individu le commande et que la technique médicale le permet ? Mais ce n’est pas tout : le même gouvernement, avec d’indécentes pudeurs rhétoriques, prétend à présent instituer l’euthanasie. S’il est vrai que l’on ne peut rester indifférent devant les inutiles souffrances de certaines longues agonies, l’urgence n’est-elle pas de développer les soins palliatifs alors qu’ils sont au contraire de moins en moins accessibles, faute de moyens hospitaliers, faute de recherche dont les crédits ne cessent également de diminuer ? Là encore, il est très inquiétant de soupçonner une intention idéologique doublée d’une arrière-pensée économique. À quelle fin ? On peut se poser la question quand l’ultra-libéralisme bafouant toute éthique tend à la marchandisation du vivant. Peut-on tolérer que la vie humaine, après celle de la nature, devienne un produit livrable sur commande et la mort son obsolescence programmée ? Est-ce vers la domestication de l’espèce humaine que ce prétendu progrès nous achemine ? Avor-tement, euthanasie, guerre… la mort est-elle tout l’avenir que les grands de ce monde ont à lui proposer ?

« J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives. » (Dt 30,19). Choisir la vie, c’est accepter de vivre ce qui est donné : l’imprévu inhérent à l’existence, aussi différent de notre désir soit-il, aussi heureux ou malheureux semble-t-il, confiant dans les beautés insoupçonnables qui en adviendront. Choisir la toute-puissance, choisir le pouvoir et l’argent comme le diable y incite vainement Jésus au désert, c’est céder à la même tentation originelle qui précipita la chute d’Ève et d’Adam : c’est choisir la mort malgré l’avertissement de Dieu qui veut le bien de sa créature en lui posant de saines limites : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort. » (Gn 2,16-17). Avertissement maintes fois réitéré, maintes fois ignoré, mais jamais aussi ouvertement méprisé qu’aujourd’hui malgré les dan-gers extrêmes auxquels cette surdité nous expose. Il est encore temps d’ouvrir nos oreilles, et de choisir la vie.

Le comité de rédaction